Les moments forts de la vie d'un Aventurier du Cinéma.
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Etienne Verhaegen J'avais décidé de vivre une vie jalonnée d'instants magiques.
J'ai eu droit à un long voyage initiatique : quarante années de tournage sur le fil du rasoir.

Je dois être né sous le signe de la chance :
J'avais deux ans quand une fusée V2, envoyée sur ma ville par Adolf Hitler, fit exploser la maison de mes voisins. Les vitres de ma chambre déchiquetèrent mon berceau ; j'ai raté ce rendez-vous avec le dictateur.
J'étais de « sortie » ce matin-là. J'ignorais à ce moments-là que je rencontrerai une demi-douzaine d'autres dictateurs à mes dépens...

À treize ans, ma mère, une artiste, me prêta sa caméra 16mm.
Depuis celle-ci fut aussi facile à manier qu'un stylo...
Cependant mon père me fit comprendre qu'il fallait que j'acquière des diplômes universitaires pour étoffer la confiance en moi. J'ai failli presque en oublier le cinéma.

Presque... Une fois cette mission accomplie (lic. Sc. Po, Lic. & Master Sc. Eco), j'entrepris des études de cinéma à Stanford University puis à UCLA. Les rencontres avec Louis Malle, Roger Vadim et Samuel Fuller furent décisives et les formations « à la méthode de l'Actor Studio » fondée par Lee Strasberg et à l'American Film Institute  complétèrent mon bagage pour mettre en scène. 20 ans plus tard, c'est cette méthode que j'enseignerai dans mes ateliers : l'émotion juste est la clef d'un film, comme la structure celle du scénario.

Je sentais confusément qu'il manquait un contenu : l'expérience pour l'avoir n'allait pas me manquer...

À la fin des années 60, l'ébullition culturelle qui parcourait la Californie bouleversa mon univers, développa ma créativité et me donna l'appétit d'explorer toutes les possibilités, toutes les facettes de l'Homme. La rencontre avec le beatnik Allen Ginsberg - Mon film (« Aventures à Hippyland ») - et les sages tels que Krishnamurti, Deshimaru et d'autres y contribuèrent...

L'opposition des étudiants à la guerre du Vietnam exacerba mon refus de me laisser embrigader.

Deux mois de voyage à Cuba pour y planter du café et rencontrer Fidel Castro me firent partager l'enthousiasme révolutionnaire latino-américain tout en prenant mes distances avec toutes formes de pouvoir.

Dans le Bengladesh à feu et à sang, les rencontres avec Mère Thérésa, par sa compassion rayonnante, me conduisirent à une autre prise de conscience et me donnèrent une leçon d'humilité.

J'avais besoin de mettre ma caméra au service de l'élargissement de la conscience autant que dans la mise en plein jour des injustices, de l'exploitation, des mensonges et des révoltes dans ce XXè siècle encore opaque.

Etienneetle lionDans les années 70, je me sentais concerné par la chape de plomb avec laquelle les militaires recouvraient l'Amérique latine. La CIA dans ses écoles à Panama formait des dictateurs : Mon film (« Les militaires des Amériques ») fut présenté au Tribunal Russell pour l'Amérique Latine.

Je donnai la parole aux opprimés et aux Indiens révoltés (« La Révolte des Ponchos Rouges ») à 4 000 mètres d'altitude dans les Andes. Ils acceptèrent de jouer leur rôle, sous forme de psychodrame, dans les conflits qu'ils avaient eu avec les latifundistes et les militaires.

Quelques années plus tard, je décortiquais les Dominants (Rois africains, Sultans, Cheiks, Dictateurs latino, Big men papou, Aristocrates orientaux...) filmant la manière dont ils se mettaient en scène et surtout filmant le paradoxe de leur pouvoir (Collection de 12 épisodes « Il Etait une Fois le Pouvoir »).
Chaque société a sa propre logique, c'est ce que je tentai de faire comprendre dans ces épisodes afin de rendre l'étranger plus proche de nous.

Durant ces dix années, je partageais des moments de complicité avec les peuples oubliés sur les derniers lambeaux de terre peu explorés, préparant, sans le savoir, la trame de mes scénarios de fictions.

Ces tournages se faisaient toujours sur le fil du rasoir : traverser une partie de la Nouvelle-Guinée au milieu d'une guerre tribale, filmer dans les harems du Yemen ou les camps de concentration Bihari au Bengladesh, assister au saccage d'une ville népalaise antique, Bhaktapur, par des vandales.

Le plus fascinant fut l'épisode haïtien. J'avais filmé Patricia quand elle s'était fait initier au Vaudou, initiation pénible, longue et secrète.
Les cérémonies, les possessions et les transes m'ont impressionné. Cette intégration nous permit quinze ans plus tard de filmer dans la secte des « Sans Poils », celle qui, la nuit, danse avec les cercueils et terrorise les villageois en les remplissant. Cela nous a permis de dévoiler le mystère des zombies, et leur processus de fabrication. Mais quand l'Empereur des « Sans Poils » nous a proposé d'être membre de la secte, nous avons refusé et clôturé l'expérience (« Vaudou, la Terreur de la Nuit »).

Mais j'ai continué à filmer partout les mécanismes de transe, de possession, de chamanisme et d'extase en essayant de les comprendre.

Le mythe de le Caverne de Platon m'imprègne toujours.
Nous ne percevons que notre ombre et croyons qu'elle est la réalité, alors qu'elle est au-delà. Ce qui est apparent n'est pas nécessairement ce qui est vrai.

etienne verhaegn dans arbreLe plus insupportable fut de filmer l'excision et l'infibulation de fillettes soudanaises (« Les Secrets de Leur Corps »). Essayez de filmer une torture « coutumière » sans laisser paraître votre émotion !! Il fallait non seulement dénoncer cette horreur mais aussi en comprendre les causes : Ce film a incité certains gouvernements d'Afrique de créer des lois d'interdiction (Kenya, Soudan, Sénégal).

Le plus traumatisant fût d'être mitraillé par l'extrême droite salvadorienne au cours d'un massacre épouvantable. Les balles sifflaient à côté de la caméra. Les blessés écrivaient sur les murs de la Cathédrale « Révolution ou la Mort » avec leur propre sang (« Salvador, sous le Régime de la Terreur »).

J'étais bouleversé à force de filmer pendant une décennie des gens battus, humiliés, torturés, massacrés. Je cherchais donc à me mettre au vert, loin des conflits entre les hommes.

Le vert avait la couleur du grand bleu. J'ai donc organisé une expédition maritime en invitant, pendant deux mois, le Chef plongeur du Commandant Cousteau, Bernard Delemotte, pour qu'il emmène un ostéopathe aveugle et le champion d'apnée Jacques Mayol à caresser les baleines au fond de l'Océan
Un Chant d'Amour Pour les Baleines ») j'emmenai aussi deux enfants.
Je m'aperçus que les comportements des enfants se transformaient au contact prolongé des dauphins et des baleines
La Croisière des Dauphins et des Baleines").

J'ai donc entrepris, avec ma compagne Mina, durant deux décennies, des documentaires dramatiques sur des jeunes, entre 5 et 23 ans, qui s'étaient pris d'affection pour les animaux sauvages parmi lesquels ils étaient nés «Nés Parmi les Animaux Sauvages ». Je voulais rendre les animaux sauvages plus accessibles. Les films permettaient aux spectateurs de s'identifier avec l'aspect libre et sauvage d'eux-mêmes.

Ces séries ont fait le tour du monde, affichant des taux d'audience élevés.

RaieUne des séries a été réalisée sous forme de contes mis en scène. Avec ces jeunes, je créais une histoire en faisant émerger le plus forts de leurs émotions et de leurs conflits, tout en gardant le style authentique du documentaire.

J'avais filmé le côté le plus affectueux et le plus obscur des relations humaines. Je voulais approfondir les relations des animaux entre eux et cela sans intervention humaine, sous la mer comme sur terre.

Je n'ai jamais voulu avoir recours au discours militant pour que les gens respectent et protègent les animaux. L'émotion a plus de force.

Ces documentaires dans la grande profondeur ne furent pas tournés sans risques. J'ai appris à rester calme quand je me faisais charger par des requins tigre. Je pourrai affronter les requins sur terre.

Tout récemment, une charge de troupeau d'éléphants s'est arrêtée par miracle à un mètre de moi, j'y ai vu le signe que je devais arrêter de filmer les animaux sauvages « au contact ».

Aujourd'hui, ayant fait le plein d'aventures et d'émotions, je me consacre à la réalisation de mes scénarios de long-métrages de fictions primés aux Etats-Unis, relatant des histoires de couples aventuriers... Évidemment !

Sur ma route, Jean Rouch, Frédéric Rossif, Junishi Ushiyama, Muriel Rosé et tant d'autres qui se reconnaîtront et resteront dans mon cœur, m'ont donné les moyens et l'indépendance, je leur suis reconnaissant de cette totale confiance.

Suis-je loin du but que je m'étais assigné, il y a plus de quarante ans ?
La charge émotionnelle qui se dégage de mes films, les souffrances des gens et des animaux que j'ai mis en évidence, l'affection de celles et ceux avec qui j'ai partagé, l'entêtement de réussir un projet, le scepticisme de certains...
Tout est encore là en ordre de bataille.

 

©Tous droits réservés -Etienne Verhaegen

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